Pour la première fois de son histoire, l’Académie de médecine accueillait jeudi dernier des enseignants de SVT (sciences de la vie et de la terre) ainsi que des élèves de troisième et de seconde, pour assister, et participer, aux débats de la deuxième journée de prévention consacrée cette fois à «la santé des enfants et des adolescents» et à la «première séance de la jeune Académie de médecine».
Une initiative justifiée pour le Pr. Pierre Bégué, ancien président de l’Académie et ardent défenseur de la médecine de prévention: «L’école est le lieu privilégié pour faire passer les messages de prévention.» Évidemment, la promotion de la santé à l’école ne se limite pas à agir directement sur les paramètres de santé, «on est passé d’une approche biomédicale à une approche psychosociale, une promotion de la santé vue comme un processus de construction tout au long de la vie», explique le Dr Brigitte Moltrecht, de la Degesco (direction générale de l’enseignement scolaire), «il faut responsabiliser les gens et leur donner les moyens d’agir sur leur santé.»
Ce qui implique aussi d’abandonner l’idée d’une action égalitaire consistant à mener les mêmes actions pour tout le monde ou de ne cibler que des populations particulières. «C’est le concept d’universalisme proportionné, nous allons cibler nos interventions davantage auprès de certains élèves vulnérables, explique le Dr Moltrecht. L’approche proportionnée aux besoins de chacun permet de réduire les inégalités sociales de santé.»
C’est aussi la feuille de route du Dr Zinna Bessa, sous-directrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la Direction générale de la santé (DGS). «L’état de santé des jeunes est globalement bon mais il y a urgence à agir en matière de prévention car il y a un écart entre les familles favorisées et celles qui le sont moins», explique-t-elle.
Le plan «priorité prévention» du gouvernement, présenté par le premier ministre Édouard Philippe le 26 mars 2018, en déclinaison de l’un des axes prioritaires de la Stratégie nationale de santé d’Agnès Buzyn, fait d’ailleurs, logiquement, la part belle aux enfants et adolescents, avec notamment l’organisation d’examens de santé jusqu’à 18 ans.
Parmi les mesures novatrices présentées dans le plan priorité prévention, l’idée d’un parcours santé des 0-6 ans: «Les inégalités de santé sont déjà installées avant l’âge de 6 ans, voire dès 3 ans. À titre d’exemple, 21 % des enfants d’ouvriers sont en surpoids ou obèses contre 8,5 % des enfants de cadre.» «Il y a deux ans, à peine la moitié des élèves âgés de 6 ans (57 %) avaient fait la visite obligatoire», souligne le Pr Bégué. «C’est inquiétant car cette consultation obligatoire gratuite à 6 ans peut déterminer l’avenir des enfants», remarque le Pr Claude Dreux, co-organisateur de la journée, avec le Pr Pierre-François Plouin.
Il existe bien sûr des dépistages précoces, dès la naissance, des troubles auditifs ou visuels chez l’enfant. Plus de 80 % des surdités de l’enfant existent en effet dès la naissance et une fois sur quatre cette surdité est profonde. Ainsi un enfant sur mille naît sourd profond (perte supérieure à 90 dB). «L’examen des 6 ans aura le mérite de repérer des déficits plus légers qui seraient passés inaperçus», remarque le Pr Dufier.
«À 6 ans, la maturation sensorielle est terminée, il est encore important de repérer des petits troubles, par exemple visuels ou auditifs, avant de conclure que l’enfant présente des troubles du comportement», souligne le Pr Jean-Louis Dufier. Car une insuffisance d’acuité visuelle (amblyopie) est fréquente puisqu’elle concerne environ 3 % des enfants. Elle doit être dépistée avant d’entraîner des lésions du cortex visuel irréversibles en l’absence de traitement.
Concernant les drogues licites ou illicites, le Pr Jean-Pierre Goullé, est partagé. «La consommation de tabac à 17 ans est en net recul tant pour l’expérimentation que pour l’usage quotidien par rapport à 2014 et c’est la même chose pour la consommation d’alcool, note-t-il, mais le tabac et l’alcool restent à des niveaux très élevés chez les jeunes et l’usage problématique est en hausse.» C’est aussi le cas pour le cannabis. «7,4 % des jeunes de 17 ans ont une consommation problématique. C’est énorme!», remarque le Pr Goullé.
Même hésitation du Pr Jean-Louis Schlienger, professeur de médecine interne et nutrition. «Au cours des dix dernières années, l’obésité s’est stabilisée chez les enfants (12-17 ans), mais ce qui pose problème aujourd’hui, c’est la consommation de sucre, explique-t-il. Pas les sucres complexes (pain, céréales, pâtes, légumes, NDLR), dont on a besoin, mais les sucres rapides qui sont consommés en excès, notamment dans les boissons sucrées.»
C’est aussi l’une des explications de l’augmentation des syndromes métaboliques chez l’enfant. «Le syndrome métabolique associe une augmentation du tour de taille à de l’hypertension et des anomalies métaboliques (hyperglycémie et anomalies du cholestérol, NDLR)», explique le Pr André Vacheron. «Il fait le lit des maladies coronaires et des accidents vasculaires cérébraux survenant à l’âge adulte», ajoute-t-il.
Le manque d’activité physique des jeunes est un problème majeur aujourd’hui. «Un jeune sur cinq ne fait quasiment jamais de sport», s’inquiète Philippe Haas, ancien professeur d’EPS, désormais chef d’établissement, «il faut leur redonner ce goût». «D’autant que cela réduit le risque d’obésité et améliore les performances cognitives», renchérit le Pr Xavier Bigard, directeur médical de l’Union cycliste internationale.
Dernière interrogation et non des moindres pour les spécialistes, la santé mentale des adolescents est globalement bonne mais les suicides et tentatives de suicide sont en hausse.
Le gouvernement cherche à innover. Notamment chez les enfants et les adolescents. «L’expérimentation “Écout’Émoi” est déjà lancée dans 3 régions: en Île-de-France, dans le Grand Est et dans les Pays de la Loire, se félicitait la ministre de la Santé le 24 janvier dernier. Elle organise le repérage et la prise en charge de la souffrance psychique chez les jeunes de 11 à 21 ans et elle autorise un forfait de 12 séances financées chez un psychologue libéral.»